LES COULISSES DE BARTABAS
Le Chœur régional Vittoria d’Île-de-France vient d’achever une série de spectacles aux côtés de Bartabas et l’Académie équestre nationale du domaine de Versailles dans le Requiem de Mozart. Retour sur ce que vous n’avez pas vu, entendu… et ce qu’on ne vous dit tout simplement pas : les coulisses de Bartabas !
Il s’agissait d’une première pour l’ensemble de nos choristes, cadencé par les chevaux de l’Académie à la Grande halle de la Villette. Et cela ne fut pas une mince affaire pour eux qui furent tous bousculés dans leurs habitudes les plus évidentes de pratique vocale. Car le cheval est un être sensible presqu’autant qu’un choriste et la rencontre de ces deux mondes a constitué un spectacle en lui-même fascinant bien avant que le rideau ne se lève.
« Chanter au-dessus des chevaux sera le plus grand défi de ce Requiem pour nous ». Michel Piquemal.
Dès la légendaire « feuille de route » qui planifie les réjouissances, le ton est donné : « ne pas porter de parfum ni eau de toilette du tout ». Le cheval est sensible au bruit, à l’odeur, aux mouvements brusques, aux objets inconnus, à la nourriture… Imaginez donc 80 choristes qui s’avancent sur la scène traversant alors la piste de travail des chevaux, qui vocalisent, s’esclaffent, oublient le flash de leur portable, un dernier biscuit à la main, fraichement pomponnés. L’enfer pour 15 chevaux qui s’apprêtent à affronter une salle de 1500 personnes avec applaudissements et lumières de scène. L’enfer aussi pour les écuyers hyper-attentifs à leur monture… A fortiori 15 minutes avant le lever de rideau, ce qui signifierait un spectacle retardé si un cheval prend peur si peu de temps avant celui-ci, laissant monter le brouhaha du public impatient. Une spirale angoissante que personne ne veut tenter.
En dépit de ce que chacun peut penser, ce sont les choristes qui se sont patiemment dressés à la hauteur des chevaux. Parfois à coup d’antihistaminiques ou respiration consciente pour répondre à la peur ou l’allergie.
Bonjour le parler « détimbré » ponctué par « rester silencieux pendant vos déplacements entre les loges et le plateau ». Ou encore « merci de rester le plus possible dans vos loges et ne pas entrer et sortir régulièrement pour la tranquillité des chevaux. Vos collations vous seront directement livrées dans les loges ». Priorité à droite, pas de sabots à l’horizon. Vision d’un Chœur se faufilant au ralenti bouche cousue à son pupitre sous l’impulsion d’un technicien ayant pris soin d’informer les écuyers au préalable.
Et puis le cheval rencontre la musique, les voix, le Requiem.
Progressivement, chaque jour, avant chaque spectacle, le cheval habituellement attentif à la voix de son écuyer, est exposé aux autres voix : du Chœur et des solistes. La chauffe sensibilise d’abord puis un piano, puis deux, enfin la timbale. « Trop de bruit » les techniciens coupent les retours-sons de la piste. Il faut commencer par le Lacrimosa si doux à l’oreille pour habituer les chevaux puis il se module en Kyrie, puis nous tentons un Dies Irae puissant voulu par Mozart… Les oreilles se dressent, écoutent, mais aucun ne prend peur. Rencontre réussie. Qu’il faudra renouveler chaque jour dans une issue souvent incertaine. Des rituels de retrouvailles sans cesse réinventées. Une représentation avant le spectacle.
Puis le rideau se lève et le chant en premier emporte dans la passion de Mozart. Pourtant, il ne faut pas trépigner au-dessus des chevaux, ne pas chuchoter, ni taper dans un micro… Car le public le plus exigeant cette fois est bien les chevaux qui écoutent et nous ressentent à chaque instant.
Fin de spectacle. Les chevaux sortent, et quelqu’un ose un soupir bruyant de satisfaction. Tout est à reconstruire demain.
Finalement, ce Requiem n’en fut pas moins la rencontre de deux mondes : musical et équestre. Les chanteurs adoptent le comportement si droit, rigoureux et implacable des écuyères qui leur donne une allure folle. Le cheval quant à lui dansera peut-être sur les notes, si l’approche lui convient.
« Requiem » raconte une belle histoire de C(h)oeur dans une rencontre fragile mais authentique. Pas le droit à l’erreur dans ce rendez-vous là.
L’histoire ne dira pas s’ils eurent beaucoup d’enfants mais ils furent heureux à n’en pas douter.
PROGRAMME ET DISTRIBUTION
Spectacles du 15 au 20 mai 2018 à la Grande Halle de la Villette (Paris)
MISERERE KV 85 de Mozart en La mineur pour chœur et orgue positif
REQUIEM KV 626 de Mozart (transcription de Czerny) en ré mineur pour solistes, chœur et piano à quatre mains
AVE VERUM CORPUS KV 618 (chanté par les écuyers de l’Académie)
Mise en scène et chorégraphie Bartabas
Direction musicale Michel Piquemal
Les écuyers et chevaux de l’Académie équestre nationale du domaine de Versailles
Le Chœur régional Vittoria d’Île-de-France (Direction : Michel Piquemal)
La Maîtrise de Paris (Direction : Boris Mychajliszyn)
Tatiana Probst, soprano
Ninon Dann, Alto,
Fabien Hyon, ténor,
Guilhem Worms, basse
Thomas Tacquet, piano et orgue
Philippe Reymond, piano